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Milagro Sala, prisonnière politique en Argentine
Un collectif de personnalités françaises, dans une tribune au Monde, estime que la détention de la responsable politique argentine Milagro Sala est un exemple de détournement de la justice à des fins politiques. Elle doit être libérée.
Tribune publiée dans Le Monde le 16 janvier 2023
« Milagro Sala est persécutée par un système qui préfère une jeunesse sombrant dans la drogue plutôt qu’engagée et active »
TRIBUNE
Collectif
La détention de la très populaire responsable politique argentine Milagro Sala est un exemple de « lawfare » ou « guerre judiciaire », ce détournement de la justice à des fins personnelles et politiques, estime un collectif de personnalités françaises dans une tribune au « Monde ». Elle doit être libérée.
Depuis sept ans jour pour jour, Milagro Sala, dirigeante du mouvement social Tupac Amaru, est détenue arbitrairement dans la province de Jujuy, en Argentine, en raison du harcèlement judiciaire mené par le gouverneur local, Gerardo Morales. Cette détention s’inscrit dans le contexte plus vaste de développement de stratégies de lawfare (« guerre juridique ») en Amérique latine – c’est-à-dire l’utilisation des institutions judiciaires à des fins de persécution politique.
Cette « guerre juridique » se caractérise par une succession de procès montés de toutes pièces sur la base de chefs d’inculpation multiples, par la nomination de juges modifiant la composition des tribunaux locaux, et par la corruption de témoins. D’origine autochtone colla, Milagro Sala est sensible depuis son adolescence à l’extrême misère des bidonvilles.
Devenue militante syndicale, elle fonde en 1991 l’organisation Tupac Amaru, du nom du dernier Inca rebelle supplicié par la Couronne espagnole, et accomplit deux exploits : nourrir les enfants des quartiers abandonnés en leur distribuant ce qui deviendra le légendaire « verre de lait » – l’expression copas de leche désignera par extension les postes de distribution de lait et d’autres denrées de base fondés par l’association ; et employer des adolescents drogués, des femmes battues, des laissés-pour-compte pour en assurer la distribution.
Cent vingt coopératives de production autogérées
Quartier par quartier, ville par ville, les actions solidaires prennent de l’ampleur et s’organisent en coopératives. Ayant eu vent de cette initiative, le président argentin Nestor Kirchner offre à Milagro Sala des subventions d’Etat, au demeurant modiques, destinées à la construction de logements sociaux en remplacement des baraquements des bidonvilles.
En 2015, l’organisation compte 80 000 membres : ses militants, les Tupaqueros, travaillent jour et nuit afin de bâtir des dizaines d’habitations à un coût infiniment plus faible que prévu. Ils construisent ainsi 8 000 maisons, plusieurs dispensaires, des écoles, des espaces culturels et sportifs, et de petites entreprises de production de biens (ferronnerie, matériaux de construction, menuiserie…).
Environ 120 coopératives de production autogérées sont fondées, procurant des emplois aux habitants des quartiers les plus pauvres et faisant de la Tupac le troisième employeur de la province. Grâce à cette action solidaire, l’association et ses dirigeants restituent au peuple une identité et une dignité perdues.
Fin de l’autogestion dans la province
Toutes les promesses de progrès social non tenues jusqu’alors par les gouvernements provinciaux et nationaux sont ainsi concrétisées par Milagro Sala et la Tupac Amaru. Milagro, leader politique populaire, est élue députée au Parlement du Mercosur [Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay]. Il n’est pas surprenant que le gouvernement de Gerardo Morales, arrivé au pouvoir fin 2015 avec le soutien du gouvernement national de Mauricio Macri et des secteurs les plus riches de l’économie, ait voulu mettre fin à cet exemple d’autogestion dans sa province.
Le 16 janvier 2016, quelques jours avant son investiture et conjointement à d’autres dirigeants de l’association, Milagro Sala est arrêtée. Suit alors une série de procès aussi arbitraires que fantaisistes. Toutes les réalisations de la coopérative sont saccagées, détruites ou laissées à l’abandon.
Le nom de Tupac Amaru devient prémonitoire : détenue arbitrairement depuis sept ans dans des conditions qui mettent sa vie en danger, Milagro se trouve persécutée comme le fut le chef inca par un système qui préfère une jeunesse sombrant dans la drogue plutôt qu’engagée et active. Milagro est victime du racisme des classes aisées et des ambitions personnelles du gouverneur Gerardo Morales, son ennemi acharné, qui voit en elle une rivale redoutable.
Milagro Sala est une prisonnière politique
Cette situation inique et scandaleuse a été immédiatement dénoncée par les organisations et organismes internationaux tels que le Comité des Nations unies contre la détention arbitraire et la Commission interaméricaine des droits de l’homme, ou Amnesty International, qui appellent à sa libération immédiate ; ainsi que par le président argentin lui-même, Alberto Fernandez.
Pourtant, la justice de la province de Jujuy reste sourde à ces appels. La Cour suprême nationale, saisie par les défenseurs de Milagro Sala, a en effet confirmé le caractère local de la décision de détention – l’Argentine étant un Etat fédéral, les délits locaux y sont traités par la justice locale, réduisant les possibilités d’intervention de l’Etat argentin et notamment d’une grâce présidentielle.
Milagro Sala est aujourd’hui l’une des plus anciennes prisonnières politiques d’Amérique latine. Son état de santé, déjà fragilisé par les années d’emprisonnement, s’est récemment aggravé à la suite d’une thrombose à la jambe gauche, dont le traitement en hôpital lui est refusé.
Pour une libération rapide
Cette province argentine n’est pas dénuée de liens avec la France : le gouverneur y a notamment autorisé l’extraction de lithium et d’autres projets nuisibles à l’environnement et à la santé des populations, sans l’accord pourtant obligatoire des communautés locales, opérations financées par des fonds étrangers – et en particulier français.
Nous demandons aux autorités argentines de prendre des mesures urgentes, telles qu’une grâce présidentielle ou une intervention fédérale dans le pouvoir judiciaire de la province de Jujuy, pour que Milagro Sala soit enfin libérée.
Nous appelons également le gouvernement français à entreprendre une démarche humanitaire auprès du gouvernement argentin, afin d’obtenir sa libération comme il l’a déjà fait dans des situations semblables.
Les signataires de cette tribune sont : Laurence Cohen, sénatrice ; Alicia Dujovne Ortiz, écrivaine, autrice de Milagro Sala, l’étincelle d’un peuple ; Laura Franchi, présidente de l’Assemblée des citoyens argentins en France (ACAF) ; Geneviève Garrigos, conseillère de Paris ; Elizabeth Nicoli, coprésidente de l’Alliance des femmes pour la démocratie; Sophie Thonon- Wesfreid, avocate, présidente de France-Amérique latine (FAL) ; Christine Villeneuve, codirectrice des Éditions des femmes.